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Sommes-nous des écoterroristes ?

Au-delà de la blague, cette page a pour but de revenir sur la définition juridique du terrorisme et son usage pour avoir un éclairage plus réfléchi sur les risques d'une qualification terroriste d'actions écologistes (XR et au-delà).

Petite précision : la question est très complexe, cette page n'est qu'une ébauche de réponse qui se contente de rassembler quelques informations éparses sur la question.

Les infractions terroristes sont prévues par les articles 421-1 à 422-7 du code pénal. La principale d'entre elles est définie par l'article 421-1 :

Constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes :

1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, définis par le livre II du présent code ;

2° Les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique définis par le livre III du présent code ;

3° Les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous définies par les articles 431-13 à 431-17 et les infractions définies par les articles 434-6 et 441-2 à 441-5 ;

4° Les infractions en matière d'armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires définies par les articles 222-52 à 222-54,322-6-1 et 322-11-1 du présent code, le I de l'article L. 1333-9, les articles L. 1333-11 et L. 1333-13-2, le II des articles L. 1333-13-3 et L. 1333-13-4, les articles L. 1333-13-6, L. 2339-2, L. 2339-14, L. 2339-16, L. 2341-1, L. 2341-4, L. 2341-5, L. 2342-57 à L. 2342-62, L. 2353-4, le 1° de l'article L. 2353-5 et l'article L. 2353-13 du code de la défense, ainsi que les articles L. 317-7 et L. 317-8 à l'exception des armes de la catégorie D définies par décret en Conseil d'Etat, du code de la sécurité intérieure ;

5° Le recel du produit de l'une des infractions prévues aux 1° à 4° ci-dessus ;

6° Les infractions de blanchiment prévues au chapitre IV du titre II du livre III du présent code ;

7° Les délits d'initié prévus aux articles L. 465-1 à L. 465-3 du code monétaire et financier.

Ce qui apparaît donc rapidement, c'est que la définition du terrorisme n'est pas restreinte au fait de tuer des personnes, puisque peuvent être qualifiées de terroristes des dégradations ou du blanchiment par exemple. Ce principe a été rappelé par la Cour de cassation dans l'affaire Tarnac : le fait que les agissements reprochés ne soient pas susceptibles de provoquer des atteintes à l'intégrité physique des personnes n'exclut pas la qualification terroriste. La particularité de la définition du terrorisme est qu'elle ajoute à des infractions existantes des conditions particulières : elles doivent être "intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur".

Quand on pense à la qualification terroriste envers des mouvements de gauches et écolos ces dernières années, on parle généralement de trois affaires : l'affaire Tarnac, l'affaire du 8 décembre et l'affaire de l'intrusion dans l'usine Lafarge de Bouc Bel Air. Sur ces trois, une seule a réellement été qualifiée de terrorisme jusqu'au bout (le 8 décembre). Ainsi, dans l'affaire Tarnac (accusation de dégradations de lignes de TGV), la qualification terroriste a finalement été abandonnée, tandis que dans l'affaire de Bouc-bel-Air, même si c'est la police antiterroriste qui enquête, il n'y a pas eu de qualification terroriste (pour grossir le trait, c'est comme si la brigade financière venait enquêter sur un viol : on ne comprend pas bien ce que la brigade financière vient faire là-dedans, mais en tous cas la personne reste accusée de viol, pas de blanchiment d'argent). Par rapport au nombre de fois où le mot "terroriste" est utilisé politiquement et médiatiquement pour décrire des militant.e.s écolos et d'extrême gauche, il ne semble pas que la justice ait beaucoup suivi jusque là. Il est cependant difficile de prévoir l'utilisation qui sera faite de la notion à l'avenir.

Quels enjeux d'une qualification terroriste ? Au delà de l'épouvantail que représente le fait d'être traité de terroriste, le fait pour la justice de considérer une action comme terroriste lui donne des pouvoirs supplémentaires - et donc nous impacte très concrètement. Elle dispose de pouvoirs d'enquête très larges et peut par exemple faire durer les gardes à vues jusqu'à six jours.

Le terrorisme écologique, kezako ?

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le terrorisme écologique est bien une infraction définie par le code pénal. Pourtant, bien loin de s'appliquer à nous, elle se définit comme "le fait d'introduire dans l'atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu nature" lorsque cet acte est commis "intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur" (article 421-2 du code pénal). Lorsque l'on parle de terrorisme écologique c'est, selon la définition officielle, bien plus les grandes industries polluantes que les militant.e.s écologistes qui devraient être visé.e.s.

Avant le terrorisme : les techniques spéciales d'enquête

Actuellement, nous sommes très peu touché.e.s par les accusations juridiques de terrorisme : il semble difficilement concevable que ce soit un risque réel pour notre mouvement aujourd'hui. Cependant, sans aller jusqu'au terrorisme, d'autres qualifications, moins médiatiques, sont moins invraisemblables et tout aussi problématiques.

C'est le cas des infractions de criminalité organisée (et de certains délits commis en bande organisée, par lesquels nous sommes a priori peu concernés) qui permettent de déclencher les techniques spéciales d'enquête. C'est cette qualification (via le crime de dégradation dangereuse pour les personnes commis en bande organisée) qui a permis de déclencher les moyens d'enquête particulièrement intrusifs mis en place dans l'enquête de Bouc-bel-Air. La liste des infractions concernées est ici (on y trouve notamment le crime de sabotage, le crime de dégradation dangereuse pour les personnes en bande organisée, le crime de vol en bande organisée, le terrorisme et les associations de malfaiteurs en vue de commettre ces crimes), les moyens d'enquêtes que cela permet sont détaillés en bas de cette page.

Un autre mot aux lourdes conséquences : le sabotage

Ce que l'on entend couramment par sabotage est la dégradation lourde. Le terme de sabotage, lui, a une définition juridique bien particulière : le code pénal le définit comme "le fait de détruire, détériorer ou détourner tout document, matériel, construction, équipement, installation, appareil, dispositif technique ou système de traitement automatisé d'informations ou d'y apporter des malfaçons, lorsque ce fait est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation". C'est un crime puni de 15 ans de prison. Pourtant, en plus d'être utilisé dans de nombreuses communications militantes (il faut reconnaitre que ça sonne mieux que "dégradation lourde"), il est aussi cité dans le décret sur la dissolution des soulèvements de la terre comme élément à charge, alors que l'infraction n'a à notre connaissance jamais été utilisée contre nos mouvements.