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Sabotage, visage masqué : quels risques, quels intérêts ?

Ce document vise à présenter les implications du visage masqué et du sabotage sur la répression. Il a été produit par le GST Juridique d'XR (@support_juridique sur la base) dans l'optique de l'assemblée des rebelles du printemps 2024.

Visage masqué

Le visage masqué : une protection efficace contre la reconnaissance ?

Si la reconnaissance faciale n'est pas autorisée en temps réel en France, elle est utilisée depuis 2012 a posteriori, notamment par la police, à l’aide du fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ).
En novembre 2023, le média « Disclose » publie une enquête affirmant que la police nationale française utiliserait depuis 2015 un logiciel israélien permettant la reconnaissance faciale.

Et même si elle n'est pas officiellement utilisée en temps réel, d'autres moyens d'identification sont mis en oeuvre.

Dès 2018, il existe des systèmes permettant d'identifier via la démarche jusqu’à 50 mètres de distance, même dos tourné ou/et le visage caché. Les résultats de l’analyse de démarche ne peuvent pas être faussés ni en boîtant, ni en marchant les pieds en canard, ni même en se penchant en avant.
En 2021, la technologie, notamment grâce à des modèles d’apprentissage automatique, permet d'augmenter la netteté des images floues et/ou de recomposer des visages cachés par des masques. La reconnaissance se fait uniquement avec les yeux, les sourcils et l’arête du nez. On parle de reconnaissance périoculaire.

La loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 permet l’expérimentation jusqu’en 2025 de la vidéosurveillance automatisée par intelligence artificielle.
Le système analyse en temps réel les images pour détecter 8 types d’événements prédéterminés considérés comme « anormaux » et déclencher des alertes : le non-respect du sens de circulation, le franchissement d’une zone interdite, la présence ou l’utilisation d’une arme, un départ de feu, un mouvement de foule, une personne au sol, une densité trop importante, un colis abandonné.

Visage masqué : risques

- efficacité limitée : risque de se faire attraper quand même.

- circonstance aggravante (notamment de l'infraction de dégradation, dont la peine encourue passe de 5 ans et 75 000 euros d'amende à 7 ans et 100 000 euros d'amende)

- infraction autonome : le fait "au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime" est une infraction punissable d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. C'est un peu anecdotique, mais il existe aussi une contravention (jusqu'à 15000 euros) pour "au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public."

- plus difficile de se défendre sur le fondement de la liberté d'expression (il est généralement considéré que la désobéissance civile est censée être à visage découvert et implique d'accepter les sanctions judiciaires) -> change la perception globale de l'action qu'ont les magistrat.e.s

- être considéré par les services de renseignement comme une personne plus "dangereuse"

Visage masqué : intérêts

- baisse le risque de se faire attraper

- baisse le risque d'être fiché.e comme militant.e (si on ne participe qu'à des actions à visage masqué)

- certaines actions sont difficilement reproductibles / extrêmement engageantes si elles impliquent des arrestations systématiques -> c'est le cas des actions de dégradations qui impliquent des dommages et intérêts très élevés nous endettant à vie

Quelques situations

Exemple 1 : action de tag sur un pont en plein jour "pollution de l'air = 48 000 morts par an"

Si les participant.e.s sont à visage couvert, iels peuvent être poursuivi.e.s pour tag (max 3750 euros d'amende) ou, si c'est considéré comme tel, pour dégradation lourde à visage masqué (max 7 ans de prison et 100 000 euros). Les dommages et intérêts qui pourraient être demandés sont relativement faibles.

En plein jour, et vu que les ponts sont des endroits assez passants, il est tout à fait possible que le groupe puisse être retrouvé même à visage masqué (il n'est pas rare qu'il y ait des contrôles sur le moment sur ce type d'action). Si iels se font arrêter, les risques seront plus élevés que si les participant.e.s avaient été à visage découvert, mais restent tout de même relativement légers (ce n'est qu'un tag sur un pont). Il sera plus difficile de se défendre sur le fondement de la liberté d'expression en arguant d'un acte de désobéissance civile puisque cela ne répond pas aux canons des "bons manifestant.e.s" de la désobéissance civile qui revendiquent et assument publiquement leur action.

Exemple 2 : dégradation de plusieurs trottinettes électriques de nuit

Si les participant.e.s sont à visage couvert, iels peuvent être poursuivi.e.s pour dégradation lourde à visage masqué (max 7 ans de prison et 100 000 euros). Les dommages et intérêts demandés pourraient être assez élevés (réparation des trottinettes, pertes d'activité...)

La nuit, il y a moins de chance d'être arrêté.e en flagrant délit : à visage masqué, on baisse donc le risque d'être attrapé et fiché pour ça. Cependant, si les personnes se font quand même attraper, les risques sont relativement élevés. Il sera plus difficile de se défendre en arguant de la liberté d'expression.

Conclusion 

Dans la réflexion sur le visage masqué, attention à bien prendre en compte les risques que ça implique. Dans certaines actions (et sur le seul plan des risques juridiques, le reste ne relève pas de cette fiche), il paraît plus risqué d'être à visage masqué que de ne pas l'être.

Les risques du sabotage

Les risques pénaux

  • Ce qu'on encourt généralement, c'est la qualification de dégradation lourde, qui va jusqu'à 7 ans de prison et 100 000 euros d'amende (avec 2 circonstances aggravantes, par exemple en réunion et à visage masqué)
  • Ce n'est pourtant pas la seule infraction qui peut être utilisée : dans l'enquête pour l'intrusion dans l'usine Lafarge à Bouc-Bel-Air, les personnes ont été interpellées pour le crime de dégradation par moyen dangereux pour les personnes commis en bande organisée. L'infraction peut être retenue dès lors que la dégradation s'est faite "par l'effet d'une substance explosive, d'un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes". La peine encourue est de 20 ans de prison et 150 000 euros d'amende
  • Une autre infraction, qu'on connait moins : le "sabotage" a en fait une définition juridique. C'est "le fait de détruire, détériorer ou détourner tout document, matériel, construction, équipement, installation, appareil, dispositif technique ou système de traitement automatisé d'informations ou d'y apporter des malfaçons, lorsque ce fait est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation". C'est un crime puni de 15 ans de prison et 225 000 euros d'amende, qui n'a à notre connaissance jamais été utilisé contre des militant.e.s écolos.

Les dommages et intérêts

Les dommages et intérêts, c'est le fait de devoir dédommager la cible de l'action. Ça peut signifier repayer les choses qui ont été détruites, compenser la perte d'activité, les vigiles supplémentaires qui ont dû être embauchés... Ces sommes ne sont pas plafonnées ni liées à notre situation financière individuelle : pour des grosses actions de dégradation, les pertes financières pour l'entreprise sont vertigineuses à l'échelle d'une personne. Il y a donc un risque d'être endetté.e toute sa vie.

Les enquêtes

Qui dit action plus risquée dit aussi plus de moyens de la part de la police/justice et une répression plus forte : l’État sait trouver l'argent qu'il faut s'il veut faire une enquête poussée. Même d'un point de vue juridique, une affaire de sabotage a plus de chance de se retrouver sur le bureau d'un juge d'instruction - qui a plus de pouvoir que les procureurs qui mènent habituellement les enquêtes, il peut par exemple mettre sur écoute une ligne téléphonique. Et pour les qualifications les plus graves (dégradations dangereuses et sabotage), les policiers ont plus de droits : ils peuvent d'utiliser des techniques d'enquêtes très poussées, comme c'est le cas à Bouc-Bel-Air (logiciel espion dans les appareils numériques, garde à vue jusqu'à 4 jours, micros...)

Ainsi, en plus d'avoir plus de chance de se faire attraper au final (contrairement aux actions "symboliques" que nous faisons habituellement, qui nous ont habitué.e.s à des enquêtes très peu approfondies), de telles enquêtes peuvent être particulièrement éprouvantes pour les personnes concernées et leur entourage.

Une défense plus difficile

Dernier point : lorsque l'on fait des actions symboliques, on est généralement protégé.e.s, au moins dans une certaine mesure, par la liberté d'expression (le juge doit vérifier que l'action est un exercice de la liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général puis regarder si une condamnation serait proportionnée au dommage causé). Cet axe de défense paraît plus difficile (mais il reste possible) dans le cas d'actions clandestines qui ont des conséquences financières pour l'entreprise visée.