Est-il temps de changer de système de BAJ ? La BAJ directe
Depuis le 1er juillet 2024, une loi est entrée en vigueur concernant la garde à vue (GAV) qui élargit nos droits (il ne faut pas remercier la bienveillance du ministère de la justice pour cela, elle vient d'une directive européenne). Le changement le plus important pour nous est ce qui concerne le proche et peut affecter notre système actuel de base arrière juridique (BAJ) :
- désormais, le proche que l'on peut faire notifier en cas de GAV peut être n'importe qui (article 63-2 CPP)
- lea proche notifié.e peut faire désigner un.e avocat.e pour la personne en GAV, à condition que lea gardé.e à vue accepte (c'était déjà le cas, mais cela devient plus utile maintenant que la personne notifiée peut être la BAJ) (article 63-3-1 CPP)
Il serait donc possible d'évoluer vers un nouveau système de base arrière juridique, qui existe déjà dans d'autres pays européens (Allemagne, Belgique...) Alors que jusqu'ici lea gardé.e à vue appelait d'abord son proche qui appelait ensuite la BAJ (appelons ça : BAJ indirecte), on pourrait désormais appeler directement la BAJ (appelons ça : BAJ directe).
Cette page a pour vocation d'aider les coordinations d'action et groupes locaux à faire leur choix de passer ou non à une BAJ directe.
Retour d'expérience : la BAJ à XR Allemagne
En Allemagne, où l'absence de liste limitative de proche appelable n'est pas une nouveauté, iels fonctionnent déjà avec une BAJ directe. A la différence de chez nous, le.a gardé à vue a le droit d'appeler et d'échanger directement avec la BAJ, alors que chez nous c'est généralement la police qui appelle et qui transmet peu d'infos.
Leur BAJ a des tâches différentes : elle identifie combien de personnes sont en garde à vue et où, et veille à ce que tout le monde sorte. Elle envoie aussi des avocat.e.s en GAV (lors de leur appel avec la BAJ, les militant.e.s peuvent dire si iels en veulent un.e ou non). Elle n'a pas notre rôle de lien avec les proches pour les rassurer : les groupes affinitaires sont plus importants que chez nous et c'est à eux de jouer ce rôle. C'est aussi eux qui sont susceptibles d'appeler la BAJ pour lui dire qu'un.e de leur membre a été emmené.e en GAV ou pour demander si iel en est sorti.
Concernant la sécurité, la BAJ utilise des téléphones anonymes (avec carte SIM non liées à une identité) et le nom de la personne tenant la BAJ n'est pas donné à la police. Les militant.e.s utilisent plus régulièrement leurs prénoms (plutôt que des pseudos) et le fait que les personnes tenant la BAJ soient susceptibles d'obtenir un grand nombre d'identités (en France, c'est censé être uniquement le proche qui connaît la relation pseudo - identité, et qui ne transmet à la BAJ que le pseudo) n'a pas semblé problématique, la BAJ n'ayant pas besoin de connaître l'identité complète (elle a juste besoin de savoir que la personne X est en gav puis en est sortie, peu importe la personne qui est derrière ce X). Lorsque les militant.e.s ne donnent pas leur identité à la police, iels peuvent donner lors de leur appel à la BAJ un pseudo, ou (dans certaines actions, plutôt hors XR) un numéro d'identification leur est attribué à l'avance, qu'ils communiquent à la BAJ. Comme la BAJ se contente de rassembler les informations sur combien de personnes sont en GAV et où, elle n'a pas besoin de connaître la relation pseudo - identité réelle. Elle ne contacte pas non plus la modération pour la suspension de comptes (contrairement à la France, il n'y a pas d'infraction pour refus de donner son code de téléphone, il est donc moins fréquent que des téléphones soient ouverts).
Les numéros de BAJ sont prévus par action, pas sur le long terme.
Avantages d'une BAJ directe
- évite les cas où lea proche ne répond pas, parce qu'iel n'est pas dispo ou simplement qu'iel n'est pas concentré.e sur son téléphone sur le moment. Dans la mesure où la police n'appelle souvent qu'une fois et en appel masqué, cela peut être problématique. Appeler directement la BAJ permettrait d'avoir une personne concentrée sur ça qui prendrait directement les appels. Néanmoins, si plusieurs policiers appellent simultanément la BAJ (ce n'est pas le cas que sur des grosses actions : il est fréquent que les policiers s'y mettent à plusieurs même pour une dizaine de militant.e.s), elle ne pourra pas non plus répondre. En outre, même si lea proche ne décroche pas l'appel, nous arrivons généralement à identifier quand même qui est en GAV, parce que le proche a eu un appel d'un numéro masqué ou simplement parce que tout un groupe s'est fait embarquer. En outre, le simple fait de pouvoir appeler n'importe quel proche (pas qu'un membre de la famille) permet déjà aux militant.e.s de choisir un.e proche plus fiable et disponible ce jour-là
- simplifie la préparation de l'action pour les militant.e.s : il est fréquent que des personnes oublient ou ne transmettent pas l'intégralité des informations à leur proche. Une BAJ directe permettrait de simplifier cette étape. Néanmoins, lea proche risquerait de ne pas être informé.e de la GAV, ce qui peut dans certains cas être problématique (enfants à garder etc)
- pour les personnes qui n'ont pas de proches auxquels confier cette tâche, une BAJ centralisée leur permettrait de faire en sorte qu'XR soit tout de même au courant de leur situation
Désavantages d'une BAJ directe
- difficulté pour la BAJ à prévenir les proches : à moins que les militant.e.s ne transmettent le numéro de BAJ à leur proche (mais du coup, ça supprime notre deuxième avantage), la BAJ n'a pas le contact des proches. Cela empêche de les rassurer et de les informer des détails pratiques (par exemple si l'absence de la personne les jours de la GAV est gênante). Enfin, cela signifie que nous ne sommes pas directement en contact avec les proches pour leur demander de chercher des garanties de représentation (ce n'est pas forcément gênant, mais cela implique que cette tâche revient complètement aux avocats)
- difficulté pour la BAJ à demander la suspension de comptes sur les outils numériques (en cas de perquisition par exemple) : puisque la police ne va transmettre que l'identité de la personne et que nous ne connaissons généralement pas la correspondance avec le pseudo, nous ne saurons pas quel compte il faut suspendre, ou qui il faut retirer des groupes
- risque que la police refuse d'appeler la BAJ si on ne lui donne pas l'identité de la personne qui la tient. Iels le font déjà parfois avec le proche familial et, même si ce n'est pas censé être le cas, il n'est pas impossible qu'iels refusent d'autant plus de passer ces appels
- problème de confidentialité : la BAJ risque de se retrouver avec beaucoup d'identités de militant.e.s. Néanmoins, même si ce n'est pas censé être le cas dans la théorie du fonctionnement actuel de la BAJ, il est fréquent que la BAJ ait tout de même, à un moment ou à un autre, les correspondances prénom - pseudo. En outre, une liste de personnes placées en GAV n'est pas une information absolument critique, dans la mesure où la police peut déjà se procurer ses informations (mais cela nuit tout de même à l'anonymat dans le mouvement). Quoi qu'il en soit, le choix de la personne qui prend le rôle de BAJ n'est pas à prendre à la légère : elle doit être de confiance
- risque de divulgation de l'identité de la BAJ : pour des petites actions, il est jusqu'ici fréquent que le numéro perso d'un.e militant.e soit utilisé comme BAJ. En ne le transmettant qu'aux participant.e.s et à leurs proches, on limite le risque qu'il soit diffusé à la police. En revanche, si ce numéro est directement appelé en GAV, la police l'aura forcément. Cela ajoute donc une difficulté pour l'organisation de petites actions, à moins qu'un téléphone anonyme ne soit déjà à disposition
La désignation de l'avocat par la BAJ, une bonne idée ?
Si un groupe part sur une BAJ directe, il pourrait être tenté de désigner directement les avocat.e.s plutôt que de laisser cette tâche aux gardé.e.s à vue. En effet, cela évite que des avocat.e.s ne puissent pas voir tous les militant.e.s car un.e avocat.e a été appelé.e par plus de rebelles que le nombre personnes qu'iel a le temps de voir, pendant qu'un.e autre n'a pas été appelé.e. Contrairement à l'Allemagne, lea gardé.e à vue ne peut pas parler directement à la BAJ, il n'est donc pas possible aux militant.e.s de lui dire s'iels en ont besoin ou non. A la limite, il est envisageable de demander aux policièr.e.s que cette demande soit transmise, mais il n'y a pas de garantie de succès et cela peut mettre du temps à arriver. En outre, la BAJ aura besoin de donner son nom pour désigner l'avocat, ce qui est assez problématique. Nous déconseillons donc cette option.
Que conclure ? Éléments à prendre en compte en cas de BAJ directe
A la différence des deux pays où nous avons connaissance d'une BAJ directe (Allemagne et Belgique), nous avons rarement le droit de parler directement à la personne notifiée de la BAJ (que ce soit pour lui donner un numéro d'identification ou lui demander d'appeler un avocat). En outre, contrairement à l'Allemagne, nous aurions du mal à nous reposer sur le système des groupes affinitaires / binômes pour communiquer avec les proches, dans la mesure où il est fréquent que toustes les participant.e.s à l'action se fassent embarquer.
Il semble particulièrement difficile de mettre en place une BAJ directe pour une BAJ destinée au long terme (mobilisée en cas de perquisition par exemple). En effet, avec la seule identité de la personne, il sera impossible de suspendre ses comptes ou de la retirer de groupes.
Pour les autres cas, l'avis est moins tranché, mais les désavantages / risques semblent globalement plus importants. Si des coordos souhaitent le tenter, nous recommandons de commencer plutôt sur de petites actions où un téléphone de BAJ anonyme est prévu, où les participant.e.s sont bien briefé.e.s (et ont notamment prévenu leurs proches qu'il est possible qu'iels ne rentrent pas le soir) et où il est certain que personne ne prend son téléphone.
Pour la science ! Petites expériences à essayer en GAV
Si tu lis ces lignes, c'est que tu es un dangereux écoterroriste ! Si tu n'es pas particulièrement angoissé.e à l'idée de te retrouver en garde à vue et que tu es prêt.e à faire quelques tests pour nous faire remonter des informations, garde ça en tête et penses-y si tu te retrouves en garde à vue (ne fait pas exprès d'y aller pour les tester !) :
- Le plus facile : donne le numéro de ton proche et ne dit pas quel est ton lien avec lui/elle (dit simplement que c'est la personne que tu veux contacter). Tu peux aussi refuser de donner son identité. Dis-nous ensuite si la police a tout de même appelé et quelle était sa réaction !
- Le plus technique : au moment où tu demandes à ce que ton.a proche soit notifié.e de la GAV, si c'est lea policièr.e qui appelle (et uniquement dans ce cas), demande lui de dire à ton proche que tu veux un.e avocat.e. Attention, prérequis important ! Il faut que tu aies dit à l'avance à ton proche de ne pas chercher un.e avocat.e dans ce cas, sinon il va en chercher un et ce serait fort peu pratique. Ensuite, si tu veux vraiment un.e avocat.e, dit au policier après qu'il ait appelé que finalement tu le désignes toi-même et donne lui le nom d'avocat. En sortant de garde à vue, demande à ton proche si le message a bien été transmis ! Ne fait pas ça si tu as besoin de voir un.e avocat.e rapidement.
Tu as essayé quelque chose ? Merci beaucoup, envoie-nous un message à @support_juridique sur la base pour nous raconter tout ça !
1 Comment
Merci pour la rédaction de cette fiche <3 au niveau du GL on avait suivi l'évolution et on se posait la question des orientations stratégiques à prendre lors des formations DCNV/actions. La crainte première était de donner les numéro de copaines rebelles aux FDO en faisant appeller des personnes qui ne sont pas des proches...